Le Temps - Philosophie
Le temps est une notion qui soulève plusieurs problèmes, qui diffèrent selon que cette notion du bac de philosophie soit abordée par Epicure, Hartmut Rosa, Blaise Pascal, Platon, Nietzsche, Camus et Sartre. Alyse t’explique la notion dans le cadre du programme de philosophie en terminale au lycée !
LE TEMPS – PHILOSOPHIE
Héraclite disait: “On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”. Le temps, cette notion majeure et intrinsèquement liée à l’existence, obsède chacun d’entre nous. À l’instar du lapin blanc toujours en retard et du chapelier fou bloqué à l’heure du thé dans “Alice au pays des merveilles”, le temps est une préoccupation constante, et certains en sont plus tourmentés que d’autres.
I LE TEMPS ALIÈNE L’HOMME
II LA TENTATION D’ÉCHAPPER AU TEMPS
III UN BON USAGE DU TEMPS PERMET DE SE DÉPASSER
I. L’ALIÉNATION DE L’HOMME PAR LE TEMPS
Le temps, issu du latin tempus qui signifie moment ou époque, est souvent perçu comme un lieu indéfini et homogène dans lequel se déroulent les événements. Il est un mouvement continuel, une image mobile de l’éternité comme le définissait Platon. Orienté vers le futur, le présent devient le passé en tendant vers le futur. Ce concept, illustré par la Flèche du temps, symbolise l’irréversibilité du temps.
Les philosophes ont abordé la notion du temps de trois manières distinctes. Aristote propose une définition objective du temps, extérieure et indissociable de l’espace. Bergson, quant à lui, voit le temps comme une donnée intérieure et psychologique, de l’ordre de la durée. Enfin, Kant fait du temps une condition, une représentation nécessaire, au sein de laquelle tout phénomène ou toute réalité peut apparaître. Cependant, malgré les efforts pour définir le temps, comment peut-on le saisir, l’arrêter, le figer et lui attribuer des contours alors qu’il est insaisissable et irréversible ?
A) MARQUE DE FINITUDE DE L’HOMME
Le Temps aliène l’Homme tout d’abord parce qu’il est la Marque de sa finitude.
La finitude de l’Homme c’est quoi ? Ce concept, apparu au XXe siècle, implique que, qui dit Homme dit sa fin et sa limite.
La finitude pointe ainsi deux caractères indissociables de l’Homme :
Le premier est que sa connaissance est limitée, il n’est pas omniscient : je ne peux démontrer de façon rationnelle ce qui m’arrive après la mort.
Le deuxième est que son existence suppose sa fin : il est mortel.
Et là on voit bien que le caractère fini de l’Homme est intrinsèquement lié à la notion du Temps, dans la mesure où son existence s’écoule entre sa naissance et sa mort.
Or, comme le remarque Epicure dans sa Lettre à Ménécée, le constat que « nous allons mourir » engendre le désir d’immortalité, lequel fait partie des désirs non naturels et non nécessaires. Pour le philosophe, pour qui le bonheur est synonyme de santé du corps et de l’âme et donc d’ataraxie –absence de troubles- il est un désir à éviter absolument. C’est un désir vide qui naît d’opinions vides. Et l’impossibilité de le combler est vecteur d’une grande souffrance.
Or il semble que deux millénaires plus tard, bien que la tendance soit désormais plus d’inciter à réaliser ses désirs – ce qui n’était pas le cas chez Epicure- le Temps soit toujours source de grande souffrance.
B) L’ACCÉLÉRATION DU TEMPS MODERNE
C’est en tout la thèse de Harmut Rosa qui constate que la vie à l’ère moderne est en constante accélération. Jamais auparavant les moyens technologiques qui permettent de gagner du Temps n’ont été aussi nombreux et performants et pourtant, jamais l’impression de manquer de Temps n’a été si répandue.
Plus grave, l’accélération des Temps modernes, aliène l’Homme et empêche un rapport sain et serein au Temps et à l’espace, aux choses et aux actions, à soi et aux autres. Constamment sous pression en raison du rythme effréné de la modernité, les individus font désormais face au Monde sans pouvoir l’habiter et se l’approprier.
C’est un peu ce que semble exprimer un des mal moderne que l’on nomme le burn out.
Or le burn out, comme le désir d’immortalité n’est qu’un symptôme, de l’angoisse générée par la fuite du Temps et du rapprochement de notre propre mort.
Aussi, pour oublier cette triste réalité et tenter de s’en libérer, l’Homme regorge de moyens et de systèmes de défense.
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II. La tentation d’échapper au Temps
Un des stratagèmes auquel recourt l’Homme pour échapper à sa réalité est le divertissement
A) Se divertir pour oublier notre condition de mortel
Pour Pascal, c’est « le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable » qui fait qu’ « on ne peut demeurer chez soi avec plaisir ».
Pour lui, même un roi, que l’on peut pourtant penser comblé en termes de satisfaction de ses désirs, serait le plus malheureux des Hommes si on le privait de divertissements. C’est ce malheur d’être soi et mortel, qui fait « que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés ». Non pour ce qu’ils procurent : l’argent, les honneurs, etc., mais uniquement parce qu’ils nous divertissent de notre condition et de ce que nous sommes.
« De là vient que les Hommes aiment tant le bruit, le remuement […] que la prison est un supplice si horrible […] que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. » Le divertissement, qui vient du latin divertere, se détourner de, au sens pascalien du terme, nous permet donc d’échapper, de nous détourner de notre condition de mortel.
Mais si le divertissement nous permet de supporter notre condition, la mémoire tout comme l’oubli deviennent également un moyen de reprendre le contrôle sur notre réalité.
B) le ressouvenir et l’oubli permettent d’appréhender le réel librement
C’est en tout cas ce que semble raconter la théorie de la réminiscence de Platon.
Platon divise la réalité en deux mondes : le monde intelligible, parfait où siège la vérité, un monde parfait, et le monde sensible, celui dans lequel nous vivons, imparfait, royaume de l’illusion et de l’apparence. Selon Platon qui croyait aussi à la réincarnation et sa théorie de la réminiscence, notre âme a fréquenté les vérités dans le monde des Idées jusqu’à ce qu’elle s’incarne dans un corps et oublie toutes les vérités.
Aussi, les Hommes doivent se ressouvenir des vérités que leur âme a autrefois côtoyées dans le monde des Idées, et ce en engageant un dialogue avec ces Idées grâce à la philosophie, puis appliquer leurs connaissances dans le monde dans lequel ils vivent, lequel est peuplé d’opinions et d’erreurs. Avec Platon, le ressouvenir, ou le souvenir du Temps où mon âme fréquentait les Idées devient donc un moyen de mieux percevoir notre réalité.
Mais la mémoire peut s’avérer tétanisant, c’est pourquoi d’autres considèrent que l’oubli au contraire est la condition de l’action et du bonheur.
C’est l’idée que défend Nietzsche pour qui « il est possible de vivre presque sans souvenirs et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli ». Il considère même qu’il y a un degré d’insomnie, c’est-à-dire de clairvoyance continue, qui nuit au vivant et « qui finit par le détruire, qu’il s’agisse d’un Homme, d’un peuple ou d’une civilisation ».
Mais si le souvenir et l’oubli tour à tour peuvent nous extraire du Temps et nous permettent de vivre plus librement, n’existe-t-il pas une façon d’utiliser le Temps à bon escient ? Que serait la valeur d’une vie où l’on serait éternel ? Le Temps n’est-il pas plutôt l’occasion d’éprouver notre valeur, notre engagement, voire notre propension à la sublimation… ?
III. Dépassement de soi grâce à un bon usage du Temps
A) Exister par de-là la finitude
L’existence est en effet l’occasion de se dépasser, de se donner une essence à savoir une identité qui témoignerait de notre grandeur. On trouve cette idée chez les existentialistes athées. Pour eux, la vie est absurde en ce sens qu’au départ nous étions néant, que nous vivons et que nous redeviendrons néant. Pour eux, il n’y a pas lieu d’espérer une vie meilleure après la mort, en guise de récompense à nos actions bonnes, vu que Dieu n’existe pas.
Mais, puisque la vie n’a pas de sens en soi, nous avons la chance -ou peut-être la malchance- de pouvoir -et même de devoir- lui donner un sens que NOUS déterminons. Camus considère, en effet, que l’absurdité de l’existence me donne l’occasion de me révolter, d’être libre et d’être passionné. « Je tire de l’absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. » « Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort – et je refuse le suicide ».
La révolte chez Camus c’est donc le choix que je fais de me dépasser avec passion et librement dans cette existence que l’on sait absurde et de réaliser de grandes choses.
L’autre existentialiste athée chez qui l’on retrouve l’idée que le laps de temps entre la naissance et la mort est l’occasion de se réaliser et d’exister, qui vient du latin – ex sistere –sortir de soi- c’est Sartre. Pour l’existentialiste, il n’existe pas de continuité logique entre le passé, le présent et le futur pour l’individu. En effet, à tout moment j’ai la possibilité de redistribuer les cartes. Je peux être le pire des escrocs et décider de devenir quelqu’un de valable demain et à ce moment redéfinir ce que je suis, à savoir mon essence. Pour Sartre si je reste mariée c’est que je choisis de continuer à faire exister un choix passé, mais à aucun moment je ne suis déterminée par mon passé puisque mon essence est d’être libre… Sartre dit à ce sujet : « Ainsi tout mon passé est là, pressant, urgent, impérieux, mais je choisis son sens et les ordres qu’il me donne par le projet même de ma fin. […] C’est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort. »
Toutefois, il existe une limite à cette liberté, c’est la mort, laquelle va figer à jamais notre essence, ce que l’on est, sans que l’on ne puisse jamais se redéfinir… C’est d’ailleurs ce qui se passe dans sa pièce Huis clos lorsque les personnages après leur mort observent, impuissants, les jugements que les vivants portent sur eux.
Mais l’ambition des Hommes peut aussi s’avérer infinie, lorsqu’ils font par exemple le pari de choisir l’éternité. C’est ce que semble nous dire Nietzsche avec sa théorie de l’éternel retour… Voyons cela.
B) Accroître son existence en optant pour l’éternel retour
Le concept de l’éternel retour a été emprunté par Nietzsche aux anciens qui considéraient que les évènements réapparaissaient de façon cyclique. Plus qu’une réalité, le concept de l’éternel retour est un défi que Nietzsche lance aux Hommes. « Et si, un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : « Cette vie, telle que tu la vis et l’as vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois », écrit-il dans Le Gai Savoir.
Comment réagirait l’Homme face à cette prise de conscience ? Maudirait-il le malin qui a institué cette situation ou au contraire y verrait-il l’occasion de revivre sempiternellement des expériences de vie incroyables ?
L’éternel retour est une expérience de pensée difficilement supportable pour les Hommes et notamment ceux qu’il considère comme des faibles. Seul le surhomme, comme il l’appelle, peut supporter cette idée qui implique de sortir d’un rapport linéaire au Temps. Seul le surhomme est capable de dire oui à la vie et d’accepter de revivre éternellement ses moments de joie incroyables et ses moments de souffrances insupportables. La pensée de l’éternel retour, par la transformation du rapport au temps qu’elle engendre, est l’occasion de renforcer notre rapport à l’existence et de lui accorder la densité qu’elle mérite.
Conclusion
Nous avons vu que le Temps, bien que faisant partie intégrante de notre existence, est une notion confuse, difficile à expliquer. Mais nous constatons qu’il pouvait être considéré de façon extérieure, sur le cadran de nos montres par exemple, puis intérieure c’est-à-dire comme une donnée psychologique et enfin une représentation nécessaire à l’apparition des phénomènes. Marque de notre finitude, le Temps de l’Antiquité à nos jours a souvent été perçu comme oppressant, angoissant et aliénant, c’est pourquoi il est parfois tentant de lui échapper soit en se divertissant soit en oubliant. Mais, heureusement, le Temps est aussi l’occasion de notre dépassement et il dépend de nous de l’appréhender au mieux afin d’attribuer une plus grande valeur à nos existences… Aussi, si le Temps est incontestablement la marque de ma finitude, la conscience que j’ai du Temps semble indiscutablement l’occasion pour moi de reprendre le contrôle.