Les animaux malades de la Peste, 1678, Jean de la Fontaine, Fables VII
INTRODUCTION
Accroche : En 1678, la société est terriblement inégalitaire, le clergé, la noblesse et la bourgeoisie des villes jouissent de privilèges tandis que le reste du peuple paye des impôts et vit une quasi-famine à cause de mauvaises récoltes. Cela choque Jean de la Fontaine.
Auteur (nom, époque, mouvement, principales œuvres, biographie pertinente) : Jean de la Fontaine, fabuliste de la fin XVIIe siècle présent à la cour de Louis XIV. Son premier mécène et protecteur était Fouquet (surintendant de roi qui sera emprisonné pour détournement de fonds). Autres fables célèbres : le corbeau et le renard, la cigale et la fourmi, le pouvoir des fables. Mouvement : classicisme (d’où une recherche de symétrie et l’importance de la morale dans ses œuvres).
Œuvre (titre, genre, date, court résumé, thèmes, contexte) : Les Livres VII à XI des Fables sont publiés en 1678-1679. Écrits alors qu’il est pensionnaire de Mme de la Sablière qui tient des salons philosophiques (ce qui influence La Fontaine, qui se met à rédiger des fables plus sérieuses et politiques). Époque de monarchie absolue, hiver très puissant qui produit de mauvaises récoltes.
Genre : fable, apologue (court récit fictif qui fait passer une morale).
Extrait (place dans l’œuvre, résumé, rôle dans l’œuvre et présentation des personnages si nécessaire) Les animaux malades de la peste raconte l’histoire d’animaux victimes de la peste qui pensent être ainsi punis de leurs péchés. Le lion décide que chaque animal doit confesser ses crimes afin que l’assemblée sacrifie le plus coupable. Il avoue de graves péchés et d’autres membres de la cour font semblant de ne rien avoir commis. Finalement, un pauvre âne sera condamné pour une bouchée de l’herbe d’autrui.
Problématique : Comment Jean de la Fontaine dénonce-t-il l’injustice de sa société dans cet apologue ?
MOUVEMENTS
1 l.1-24 : Une peste apocalyptique
2 l. 25-48 : Des confessions hypocrites
3 l. 49-64 : Le pauvre bouc émissaire : une justice au service des puissantsCONCLUSION
Mise en relation des idées principales issues des mouvements : Nous avons constaté que Jean de la Fontaine donne une allure apocalyptique à cette fable en la rendant tragique et quasi biblique afin que son lecteur reste captivé par celle-ci. Ainsi l’attitude hypocrite des animaux de la cour parait encore plus cynique, car elle menace leur survie. Le contraste entre cette attitude et la franchise de l’âne est saisissant, ce qui rend sa mort encore plus accablante, d’autant que les multiples figures d’oppositions soulignent cette injustice.
Pour répondre à la problématique : Ainsi cette fiction captivante fait ressortir l’injustice de cette société animale et derrière elle, l’injustice de la société d’Ancien Régime, une injustice qui parait d’ailleurs intemporelle.
Ouverture : La dénonciation des injustices de l’Ancien Régime se poursuivra au siècle des Lumières, au point de devenir centrale, comme on le constate dans des œuvres tel le Traité sur la Tolérance de Voltaire.
MOUVEMENT 1 : Une peste apocalyptique (1-24) A : une tragédie mythique (l.1-6), B : une vie morose (l.7-14), C : la décision de sacrifier le plus coupable (l. 15-24)
LIGNE |
EXTRAIT |
NOM DU PROCÉDÉ |
ANALYSE DE L’EFFET PRODUIT |
1-3 |
Un mal… terre |
Métonymies (un mal = la peste, Le Ciel = Dieu) + références bibliques |
Les références au Ciel et aux crimes de la terre font penser au déluge, une punition divine. Ne pas nommer la Peste produit une mise en tension avant sa révélation et l’impression que l’auteur n’ose pas la nommer, il la craint. |
4-6 |
La Peste… enrichir… faisait la guerre |
Personnification de la Peste |
La Peste semble vivante, douée d’une volonté, la volonté de punir. |
5 |
Enrichir en un jour l’Achéron |
Périphrase qui désigne la mort |
Cette référence mythologique (l’Achéron est un fleuve des enfers grecs) accroît la dimension tragique. La Mort est si horrible qu’elle ne peut être nommée directement. |
1-6 |
Mal, terreur, fureur, crimes, guerre |
Champ lexical tragique |
Confirme l’aspect funeste et apocalyptique. |
7 |
Ne mourraient pas tous… tous étaient frappés |
Chiasme |
Ce chiasme met en avant tous, offrant l’impression que personne n’est épargné. |
9 |
Mourante vie |
Oxymore |
Même les vivants ne sont qu’en demi-vie, la vie est devenue fade. |
13-14 |
Tourterelles se fuyaient + Plus d’amour, partant plus de joie |
Personnification allégorique (tourterelles = amour) + parallélisme |
Même ceux qui symbolisent l’amour n’ont plus d’amour et de joie. |
15 |
Le Lion tint conseil et dit : |
Discours direct + personnification |
Le lion organise la réunion, il est le 1er à parler : il est le chef, le roi, puissance. |
15-22 |
Ciel, céleste, courroux, péchés, sacrifier |
Champ lexical religieux |
Situation biblique, punition de Dieu et situation de sacrifice. |
21-22 |
L’histoire nous apprend… |
Référence mythologique |
Référence au sacrifice fait à Thèbes après l’acte d’Œdipe (tuer son père, épouser sa mère). Le lion se nourrit du mythe pour demander un sacrifice. |
Résumé grandes idées mouvement 1 : Ainsi, on constate que J. La Fontaine nous fait entrer dans un récit passionnant et édifiant aux allures tragiques. Le lecteur est ainsi absorbé par l’histoire et se sentira plus concerné par la morale. Ce mouvement permet déjà de constater la hiérarchie de cette société, dans laquelle le lion décide.
MOUVEMENT 2 : Des confessions hypocrites (25-48) A) les abominables péchés du lion (25-33), B) un pardon hypocrite (34-43), C) les confessions sans valeur de la cour (44-48)
LIGNE |
EXTRAIT |
NOM DU PROCÉDÉ |
ANALYSE DE L’EFFET PRODUIT |
25-28 |
Appétits gloutons, dévoré, manger |
Champ lexical de la gloutonnerie |
Le lion n’a pas mangé par faim, mais par simple désire. |
26-29 |
Dévoré mouton + le Berger |
Métaphore filée |
Allégorique, le lion glouton représente le roi qui demande tellement d’impôts (ici les moutons), que ses sujets en meurent (ici le Berger). |
27 |
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense |
Question rhétorique |
Les moutons n’avaient pas mérité ça. Cela signifie que le roi n’a pas besoin de tout ce luxe et l’impôt est illégitime. |
30 |
Je pense qu’il est bon que… |
Litote |
C’est un ordre déguisé. |
34-38 |
Trop bon roi, scrupules, trop de délicatesse, Seigneur, honneur |
Modalisation méliorative, superlatifs |
Flatteries du renard envers le roi. |
34-38 |
Canaille, sotte Est-ce un péché ? croquant // honneur |
Modalisation péjorative + Question rhétorique + antithèse |
Le renard inverse les rôles, le roi est généreux en mangeant les moutons et les moutons méritent de mourir. |
38-41 |
Berger… digne de tous maux… sur les animaux… chimérique empire |
Ironie, double sens |
Ce qui est reproché au Berger pourrait s’appliquer au roi lion : il impose son autorité aux autres animaux. |
44-45 |
On n’osa trop approfondir… Tigre, Ours, puissances |
Personnification Tigre et ours = autres rois |
Les autres rois sont également coupables, mais ne seront jamais accusés. |
47-48 |
Querelleurs… petits saints |
Antithèse |
Énorme dissymétrie entre ce que chacun fait et ce qu’ils présentent. |
Résumé grandes idées mouvement 2 : Ce mouvement fait découvrir la perversité de la société d’Ancien Régime : les puissants écrasent les plus faibles d’impôts pour satisfaire leur gloutonnerie, pendant qu’une cour de flatteur leur dit de continuer et de ne jamais se remettre en cause, tandis qu’eux-mêmes mentent sur leurs propres actions.
MOUVEMENT 3 : Le pauvre bouc-émissaire (49-64) A) les confessions de l’Âne (49-54), B) la condamnation de l’Âne (55-62), C) une morale désabusée sur les inégalités (63-64)
LIGNE |
EXTRAIT |
NOM DU PROCÉDÉ |
ANALYSE DE L’EFFET PRODUIT |
49-50 |
J’ai souvenance… passant |
Cette formulation souligne que le crime est ancien (souvenance) et peu important (en passant). |
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51-52 |
La faim, l’occasion… poussant |
Accumulation |
Présente les nombreuses raisons de l’acte, en particulier la faim. |
53 |
Je tondis… la largeur de ma langue |
Périphrase |
Il n’a presque rien mangé, une bouchée, dérisoire. |
56 |
Peccadille… pendable |
Antithèse |
Met en valeur la disproportion entre l’acte et la peine. |
60-61 |
Manger l’herbe d’autrui ! Rien que la mort |
Phrases exclamatives + négation restrictive |
Ces tournures sont ironiques, car elles soulignent la disproportion entre l’acte et la peine. |
62 |
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir |
Ellipse (passage rapide de l’idée d’une sanction et son application) |
L’ellipse donne l’impression que le jugement n’était qu’une simple formalité et fut pris bien trop rapidement. |
49-62 |
L’âne mange une bouchée d’herbe qui n’est pas à lui et se voit condamner à mort |
Métaphore filée |
Rappelle la situation des paysans jugés coupables et tués s’ils entraient dans les forêts d’un seigneur pour y prendre de quoi manger. |
63-64 |
Puissant/misérable blanc/noir |
Antithèse |
Renforce le contraste entre les puissants et les faibles pour faire comprendre qu’il s’agit du critère essentiel dans ce type de jugement. |
63-64 |
Serez… rendront |
Futur gnomique (futur de vérité générale) |
Ce futur renforce cette cruelle vérité, valable à toute époque : votre puissance influera toujours sur votre jugement. |
Résumé grandes idées mouvement 3 : Cette 3e partie contraste avec la 2e : l’âne, qui n’a presque rien commis comme offense, est condamné à cause de son statut : il est pauvre, pelé, galeux, donc il sera une victime de la justice. L’injustice de cette société est complète, pire encore, cette injustice se ressent à toute époque.